Trop, trop, trop.
Non?

Trop d’images, de visages, trop de chagrins, trop de grains de sel, de pixels, trop d’événements et de non-événements, trop de morceaux de vie (pas assez de vie?), trop de questions impossibles, trop de réponses possibles, j’ai trop vécu déjà et pourtant, je ne m’appartiens pas.
Qui fera le tri pour moi?

Allons, benjam… Les règles de l’art imposent leurs codes, la bienséance impose ses normes, le marché dicte ses lois (puisque ses chiffres ont force de loi), le bon goût érige ses barrières, le bon grain ne saurait tolérer longtemps la promiscuité de l’ivraie et, avec fermeté, le recul invite toujours à l’autocritique, à une forme de sélection voire de hiérarchie… non?

Elémentaire, chacun sait cela, qui s’enseigne dès les écoles.

Et pourtant… s’il fallait, ou si l’on pouvait voir, dans le refus du tri, non un renoncement mais au contraire une proposition, une forte proposition, faite de doute et d’aplomb à la fois, une tentative presque insolente?
Au milieu, parmi l’amas d’instants et les bouts d’espaces, on aurait pu faire des groupes: les photos “bonnes” ou les “pas bonnes”? (ouille ouille ouille), l’insolite ou l’infrabanal, l’intime ou l’extériorisation, le défoulement ou le refoulement, les moins rouges, le plus… plasticiennes?
Mais c’est aussi une forme de discrétion que d’avoir laissé les Fragonard surnager parmi les images du dimanche, comme c’est une forme de pudeur de n’avoir pas souligné les images courageuses (il y en a, notamment ces autoportraits sans concession, tout en écorce, tragiques et joyeux) au milieu de la masse devenue presque indistincte.

Nous ne verrons pas tout, non. Peut-être même n’y verrons-nous rien. Tant pis pour les précautions, tant pis pour l’épure – il faudra bien errer, piétiner, et l’on n’échappera pas à l’ivresse du nombre. Mais derrière cette foule d’images, comme derrière la jungle des masques, se laisse entendre une question, une requête à la fois timide, extravagante et impérieuse, à nous lancée par le photographe: prenez-moi comme je suis, prenez-moi autant que je suis.
Du moins là, à l’instant où je vous le demande.

pour benjam,
Manu d’Autreppe, mars 2011